Retour sur une crise annoncée

« En 1997, un vote au conseil National de la Conchyliculture (CNC) autorise la mise en culture des triploïdes en milieu ouvert sans essai préalable en milieu fermé. Nous  n’étions que deux sur une bonne vingtaine à voter contre et nous savions déjà que la prochaine crise ostréicole serait gravissime.

À l’époque, mon cheval de bataille était le bassin versant littoral de la Ria d’Etel. Cette aventure magnifique pour la qualité de l’eau avec les agriculteurs m’avait déjà fait comprendre qu’il ne faut pas aller contre la nature car elle nous le renvoie vite à la figure.

Vache folle, tremblante du mouton, fièvre porcine, grippe aviaire, les exemples sont de nombreux retour de bâton à la folie humaine.

De nombreux professionnels s’engouffrent dans l’aubaine productiviste, d’abord pour commercialiser des huîtres non laiteuse l’été, parfois nommées huîtres de quatre saisons, puis pour profiter de la croissance plus rapide de l’huître triploïde (deux ans au lieu de trois).

C’est le début de la surproduction avec le développement des écloseries.

Le naissain naturel suffisait à fournir le marché, le naissain d’écloseries ira jusqu’à fournir autant que le naissain naturel, soit deux fois trop.

De 1997 à 2007 des mortalités de plus en plus importantes sont constatées chaque année sur les naissains (une huître qui a entre 8 et 14 mois). Aucune piste ne permet de trouver une solution scientifique. À défaut, le virus OSHV1 est mis en avant bien qu’il soit connu depuis 1982.

En 2007, le dernier brevet d’IFREMER est mis en place sur la production de tétraploïdes, nécessaires pour obtenir des triploïdes.

En 2007/2008, la production atteint son apogée avec une capacité de 240 000 tonnes alors que le marché ne peut en absorber que 140 000. La profession va droit dans le mur. La surproduction entraîne un engorgement des marchés, des parcs, une pression forte sur la biodiversité, et bien entendu, une chute des cours. Le prix de négoce en gros est le même qu’en 1971/1972, début de la production des huîtres japonaises.

En 2008, mortalités fulgurantes au printemps. En 3 semaines, la moitié de la production d’huîtres d’un an disparaît en Méditerranée, Atlantique et Manche, qui pourtant n’ont pas la même salinité, ni les mêmes températures, ni la même biodiversité. Des cas similaires ont déjà existé au Japon, en Corée et aux Etats-Unis, et ce depuis les années 60 avec la première production de triploïdes au Japon pour les huîtres perlières.

Depuis, Japon et Corée sont revenus à des productions naturelles avec de fortes mesures environnementales sur les bassins versants de productions ostréicoles.

La production a très fortement chuté aux Etats-Unis, qui ont fourni le premier brevet français pour les triploïdes avant celui d’Ifremer. La profession s’émeut et réclame des aides.

Ces mortalités ont suffit à maintenir les cours, la majorité de la profession pense qu’il s’agit d’un cas exceptionnel; la vie productiviste reprend son cours.

Après six mois de dépression lourde, je prends le taureau par les cornes pour mettre de l’ordre dans ma vie. (NDLR : la vie de Jean-noël et sa profession sont intimement liés).

Je sais que nous sommes dans la crise programmée en 1997 avec l’avènement des triploïdes. Je réalise un audit de mon entreprise avec pour objectif la réduction de la dette à zéro en 3 ans.

2009 : Deuxième épisode de mortalités fulgurantes, après une année de captage tardif. Le naissain était petit, les mortalités s’échelonnent entre 50 et 100%!

Il y a toujours assez d’huîtres adultes après les années de surproduction, 2006, 2007, 2008. Les cours remontent. Les dossiers de calamités agricoles se multiplient, avec visiblement de la triche manifeste dans certains cas. Les services fiscaux vont tenter de réduire ces risques.

C’est aussi le début de la guerre pro et anti-triplo, ou plus exactement, on réveille l’artillerie lourde dans les deux camps.

Dans mon entreprise, je stoppe l’activité des marchés, non rentables depuis plusieurs années. C’est un déchirement dans l’entreprise familiale pour tenter de sauver l’activité.

L’avenir s’envisage à un an maximum.

Je prends la décision d’acheter des huîtres captées sur les bancs naturel pour trouver des huîtres plus résistantes.

Ifremer reconnaît que les triploïdes ne sont pas à 100% stériles. Mais elle entame avec la profession un programme de recherche d’huîtres résistantes à base de triploïdes!!!

Au fait, un nom est mis en avant sur le responsable de ces mortalités : OSHV1micron var, pour « variant » de OSHV1, à ne pas confondre avec « mutant » !

2010 : rebelote! Sur les forums, les menaces d’armes nucléaires prolifèrent. Sur les parcs c’est la désolation. La production adulte chute fortement, les cours se relèvent mais la profession voudrait retrouver son niveau de production d’antan avec surproduction et chute des cours. Le nombre de collecteurs mis à l’eau est multiplié par 3 pour compenser les mortalités.

Je vends un de mes deux parcs de captage, mon choix n’est pas le même que celui de la majorité. Les niveaux de dossiers de calamités atteignent des sommets.

Certaines entreprises ferment. D’autres parlent de diversification. En Bretagne sud, les prévisions parlent de 30% d’entreprises à disparaître et une perte de 60% de main-d’œuvre qualifiée qui  ne reviendra plus dans ce métier. Encore une richesse qui s’en va.

2011/2012 rien à signaler. Rien de bon en tout cas. Toujours les mortalités, les calamités, les lamentations, les espoirs sur la recherche d’une huître résistante. Les prix continuent de monter et la clientèle peu fortunée disparaît.

Les entreprises qui ont anticipé la crise vont économiquement mieux. L’ostréiculture va produire 80 000tonnes au lieu des 140 000 avant crise et peine à les vendre, un comble !

Il n’y a pas de discours officiel cohérent, chacun tire la charrette dans son sens. L’individualisme de l’ostréiculture donne sa pleine mesure. Le nombre de collecteurs mis à l’eau est multiplié par 7 ou 8, ce qui permet de nourrir l’infection virale.

Les triploïdes sont élevées proches des bancs naturels de reproduction. Comme elles ne sont pas toutes stériles, quid du brassage des larves?

Fin 2011, l’échouage du TK Bremen à Erdeven, provoque une mini marée noire, 12 ans après celle plus gigantesque de l’Erika. Les ostréiculteurs de la Ria d’Etel seront traumatisés et pas indemnisés.

Pour la première fois, en 2012, une forte mortalité estivale des huîtres adultes triploïdes. Elles avaient pourtant été élaborées pour être travaillées l’été!

J’affine ma production à base d’huîtres naturelles. Pas de mortalités à signaler. Je continue à prendre un peu de naissain naturel pour compléter la production mais il subit des ponctions mortifères en 1ere et 2ème années.

J’arrive au bout de mon programme de réduction de la dette. J’envisage « mon » avenir avec beaucoup plus de sérénité.

2013 : On prend les mêmes et on recommence.

Le naissain triploïde se vend moins bien mais les écloseries se multiplient et s’agrandissent. Créées à coup de subventions, financées en fonctionnement par les calamités agricoles : vive la crise!

Cet été donc, retour des mortalités de naissain d’abord puis d’adultes triploïdes. La profession s’inquiète : il est temps. Le projet de moratoire sur l’élevage des la triploïde a été enterré fin 2012. Nous ne savons pas s’il y a risque d’infection des adultes naturelles.

Pour l’instant aucune casse significative à constater.

Nous avons remis l’entreprise à niveau, en matériel après 5 ans d’entretien minimum. 70% des parcs en surélevés ont été nettoyés et préparés pour 10 ans. La production en cours devrait égaler celle de l’an passé à un niveau très proche de 2008.

Toute ma carrière j’ai été persuadé de faire fortune l’année prochaine. Un ostréiculteur est un joueur qui jette ses économies à l’eau.

Je continue donc à jouer, serein. Sachant qu’il y aura des hauts et des bas »

2 commentaires

  1. Merci pour votre témoignage édifiant. L’Ifremer , une partie des professionnels ont caché la manipulation génétique qui était réalisée. On a aussi fait aucun test de santé concernant la consommation. On s’en est affranchi comme pour les OGM (les tests baclés de Monsanto de moins de trois mois…)
    Vous etes un « lanceur d’alerte » et cela est difficile dans beaucoup de professions.
    Resultat un double boomerang: la crise au niveau de la production et aussi un autre à venir : celui des consommateurs floués car on a rien dit. On a parlé d’huitres de quatre saisons mais presque jamais de triploides. ..
    J’aime beaucoup les huitres. J’acheterai des huitres naturelles et ferai de l’information sur cette situation. J’espere que le comité national de conchyliculture va réaliser un moratoire sur ces huitres triploides…

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